Réforme de l’OMC : Urgences et adaptation aux défis mondiaux

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La réforme de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) constitue une impérieuse nécessité pour relever les défis juridiques et politiques auxquels le système commercial multilatéral (SCM) est confronté. Elle l’est d’autant plus pour assurer une adaptation équitable des enjeux sociaux contemporains à la réalité de l’économie mondiale. Le SCM auquel nous nous sommes habitués, n’a pas été créé par coïncidence. Conçu d’abord dans le but d’assurer la paix par le commerce et promouvoir la prospérité et le développement après les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Il n’a cessé depuis de tenter d’évoluer et de se réinventer. En prenant le relais sur l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (connu sous son acronyme anglais : GATT) de 1947 dans la libéralisation du commerce, l’ouverture des marchés et l’élimination des obstacles tarifaires sur la base de la non-discrimination, la réciprocité et la transparence, l’OMC, en 1995, a établi un nouveau corpus institutionnel muni d’un organe de règlement des différends (ORD) et d’un arsenal juridique voulant s’adapter aux besoins de l’économie mondiale au sortir de la fin de la Guerre froide.

En effet, l’OMC a dépassé le contexte de l’ouverture des échanges commerciaux des marchandises que régissait le GATT pendant les 47 ans de son fonctionnement, pour prendre en compte et englober les besoins des membres de l’Organisation en incluant les services et la propriété intellectuelle après d’intenses négociations pendant les cycles de Tokyo et de l’Uruguay au sein du GATT et qui ont conduit à la création de l’Accord instituant l’OMC. Comme le souligne le Professeur Jean-Marc Siroën, « Cet accord tenait du miracle. Comment les États-Unis ont-ils pu accepter d’exposer leurs lois commerciales à l’appréciation des juges de l’OMC ? Comment l’Inde a-t-elle pu accepter un accord sur la propriété industrielle qui bridait son industrie? Une “fenêtre d’opportunité” s’était alors ouverte. Elle avait permis de relancer un multilatéralisme “rooseveltien” plutôt vieillissant: chute du mur de Berlin et perspective d’une “fin de l’histoire” démocratique et libérale, volonté des pays en développement d’accélérer leur développement par le commerce, pression des firmes multinationales pour mieux protéger la propriété industrielle…. Mais il y avait aussi une grande part d’illusion dans ce “miracle” ».

Ce constat met en lumière les circonstances exceptionnelles qui ont entouré la création de l’OMC. Depuis, la communauté internationale est vue comme bénéficiant d’un climat de certitude et de prévisibilité concernant l’accès aux produits et aux marchés, que confère un cadre global de règles commerciales. Toutefois, l’OMC avait à peine commencé à fonctionner que ses membres se sont mis à proposer des moyens d’améliorer ses principes, ses structures et ses procédures pour répondre aux transformations rapides de l’économie mondiale. Les temps changent, les institutions vieillissent et le droit évolue en conséquence ; la mondialisation économique a fait entrer le monde dans une nouvelle ère d’interdépendance des problèmes. Les crises économiques et les guerres commerciales d’aujourd’hui ont des implications sur la santé, la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement, lesquelles nécessitent une réponse multidisciplinaire Face à cette réalité, les normes juridiques dans le cadre de l’OMC, l’un des piliers du droit international économique, doivent véritablement s’adapter à ces nouveaux enjeux. Ceci se remarque au niveau de la situation actuelle de l’OMC, marquée par une paralysie de ses fonctions de négociation et de règlement des différends, appelant ainsi une réforme urgente. La question qui mériterait alors de se poser est celle de savoir si cette réforme est à même d’entraîner des transformations significatives du Système Commercial Multilatéral au sein de l’OMC, voire conduire, plus radicalement, à la création d’une nouvelle organisation internationale, comme cela fût le cas avec la transition du GATT vers l’OMC. Aussi, et dans un contexte marqué par des tensions commerciales croissantes et une économie mondiale en rapide mutation, est-il plausible de soutenir qu’une telle réforme pour autant qu’elle soit exhaustive et suffisante, permet de restaurer la confiance dans la capacité du SCM à répondre aux besoins des États membres et à surmonter les défis posés par l’évolution de l’économie mondiale ? Cet article propose d’examiner non seulement comment le SCM peut s’adapter aux réalités économiques par le biais de la réforme de l’OMC (II), mais aussi d’analyser les défis pressants qui appellent à une réforme immédiate (I).

I– Les questions d’urgence qui nécessitent une réforme prioritaire

Pour surmonter les défis actuels au sein de l’OMC, une réforme urgente doit être axée sur deux domaines. Premièrement, le processus de négociations commerciales multilatérales doit être amélioré pour dépasser les obstacles qui bloquent la conclusion d’accords commerciaux multilatéraux équilibrés et qui favorisent un libre-échange juste entre les pays membres (A). Deuxièmement, le mécanisme de règlement des différends doit être renforcé pour améliorer l’aptitude de l’OMC à résoudre les litiges commerciaux de manière équitable, transparente et efficace (B).

A- Surmonter le blocage des négociations commerciales multilatérales

L’une des conséquences de l’instabilité des relations internationales économiques au sein de l’OMC est la difficulté de trouver un consensus entre tous les membres concernant tous les secteurs négociés dans un cadre multilatéral. Cette situation peut être attribuée au fait que parvenir à un consensus multilatéral doit se faire sur la base de ce qu’on appelle un « Package Deal » selon lequel il est nécessaire d’arriver au point où aucun membre ne s’oppose à la décision de s’accorder sur tous les secteurs. Cela signifie également que chaque membre, quelle que soit son importance dans le commerce international, peut mettre son veto à toute décision de l’OMC. En outre, et tel que souligné par Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, «à partir du moment où ce sont les États seuls qui ont le pouvoir d’initiative législative, on obtient des propositions qui visent avant tout à satisfaire les intérêts de l’État qui les a formulées. Ces propositions sont finalement “self serving” et il faut du temps pour les rendre acceptables pour l’ensemble des membres de l’OMC par consensus ».

L’avenir de l’OMC dépendra donc de sa capacité à surmonter les divisions concernant les différents secteurs et à parvenir à un consensus sur les réformes nécessaires. C’est une organisation dirigée par ses propres membres ce qui laisse peu de marge de manœuvre aux dirigeants et donne du pouvoir aux États, en particulier lorsque le principe du consensus leur donne un droit de veto. Les défis actuels du commerce international nécessitent une réflexion approfondie et globale sur les principes de négociation et la structure de l’Organisation. Une réforme en profondeur sera nécessaire pour relever ces défis et restaurer la pertinence de l’OMC dans l’économie mondiale.

Si la nomination de Ngozi Okonjo-Iweala en mars 2021 à la tête de l’Organisation, a suscité un certain regain d’espoir, il est, toutefois, essentiel que les grandes puissances commerciales parviennent à s’entendre sur une telle réforme de l’Organisation et sur la redéfinition de l’ordre multilatéral hérité de l’après-guerre, afin que cet espoir puisse se concrétiser. Mise à part l’excellence de ses compétences, en tant que première femme et première africaine à la direction générale de l’OMC. Bien que symboliquement important, ce choix ne suffira pas à provoquer des changements significatifs sans le soutien de tous les membres. Il est important de souligner que la directrice générale pourrait tenter de faire avancer des accords bénéfiques mais il n’est cependant pas garanti qu’elle parvienne à un accord multilatéral basé sur le consensus et l’engagement de tous les membres.

En effet, l’OMC n’a pas encore réussi à parvenir à un consensus sur de nouvelles règles ou mises à jour pour s’adapter à la réalité et l’évolution de l’économie mondiale et faire face aux défis du commerce international du XXIème siècle. Malgré les progrès réalisés pendant les 12 conférences ministérielles de l’OMC, le SCM reste confronté à des problèmes structurels et à de profondes divisions entre ses membres, d’une part, concernant l’achèvement du programme de développement de Doha, et d’autre part, s’agissant des objectifs et des priorités de la réforme des procédures de négociation. Certains souhaitent mettre à jour les règles multilatérales en manifestant plus de souplesse visà-vis des pays en développement, renforcer l’application et la transparence des obligations existantes et favoriser une plus grande participation de la société civile. D’autres ont lancé des initiatives plurilatérales cherchant à conclure des accords sans obtenir l’approbation de tous les membres et même revenir au système du GATT.

La réussite des négociations au sein de l’OMC repose sur la volonté des membres de coopérer et de trouver des compromis. Les intérêts divergents et les positions souvent défendues avec fermeté peuvent rendre difficile la réalisation d’accords commerciaux multilatéraux. La nouvelle directrice générale peut certainement jouer un rôle essentiel en tant que leader de l’OMC pour encourager le dialogue, faciliter les discussions et promouvoir des solutions équilibrées. Il est important de reconnaître que la réalisation d’un véritable changement dépendra de la volonté collective des États membres d’agir de manière concertée et de trouver des terrains d’entente.