Le déni de justice : une composante essentielle d’une expropriation judiciaire ?

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La facilité avec laquelle l’expropriation par l’organe législatif ou exécutif de l’État est constatée n’apparait pas dans les cas où le prétendu acte d’expropriation est commis par une juridiction interne de l’Etat d’accueil de l’investissement. C’est pour cette raison que dans la majorité des sentences arbitrales, une expropriation ne peut être admise par le Tribunal arbitral que si un déni de justice a été constaté. En ce sens, M. Arnaud De Nanteuil estime qu’une dépossession peut être à l’origine d’un déni de justice dans des conditions très proches de l’expropriation indirecte illicite.

Dans certaines affaires, les tribunaux ont constaté que le déni de justice constitue une composante essentielle de l’expropriation judiciaire. Selon cette perspective, la conclusion d’une expropriation judiciaire découle nécessairement d’une constatation de déni de justice.

Cependant, d’autres suggèrent que ce fait internationalement illicite ne constitue pas un préalable pour une décision portant sur une expropriation et que les décisions judiciaires peuvent constituer également des expropriations indépendamment de l’existence d’un déni de justice.

Une ambiguïté jurisprudentielle relative à la détermination d’une expropriation judiciaire peut être dès lors constatée. Les tribunaux arbitraux semblent réticents dans la conclusion d’une expropriation judiciaire indépendamment de la conclusion d’un déni de justice, ce qui rend leur position sur ce type d’expropriation peu claire. En effet, certains tribunaux ont été peu enclins à examiner les réclamations d’expropriation judiciaire, sauf en cas de déni de justice ou une violation du due process. D’autres ont conclu à l’existence d’une expropriation judiciaire et ont envisagé qu’une telle conclusion est possible même si le déni de justice n’a pas été constaté en l’espèce. Dans ce contexte, le Tribunal de l’affaire Saipem c. Bengladesh avait affirmé que l’expropriation par un Tribunal ne présuppose pas nécessairement un déni de justice même si l’intervention du Tribunal était illégale.

Il faut signaler à cet égard que, dans cette affaire, le Tribunal arbitral, pour la première fois, faisait usage de la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat pour expropriation indirecte illicite constituée par les actes de ses juridictions internes. En l’espèce, la société Saipem n’a pas évoqué un déni de justice mais plutôt l’expropriation indirecte de son investissement par les juridictions locales du Bangladesh sur le fondement du Traité bilatéral d’investissement conclu entre l’Italie et le Bangladesh en 1990.

Le Tribunal avait mentionné qu’un acte judiciaire pouvait entraîner une expropriation. L’État de Bangladesh a été déclaré responsable du fait de ses juridictions bien que l’investisseur étranger n’ait pas épuisé les recours internes disponibles.

De manière similaire à l’affaire Saipem, le Tribunal de l’affaire Arif c. Moldavie avait rejeté explicitement l’exigence d’épuiser les recours internes dans une réclamation pour expropriation judiciaire en l’absence d’une réclamation pour déni de justice, tout en précisant la différence entre une réclamation sur déni de justice et une réclamation sur expropriation. En effet, dans une demande de déni de justice, tout le système judiciaire est concerné tandis que dans une demande d’expropriation, une action individuelle de l’organe de l’Etat est déterminante.

La détermination de la pertinence de la conduite de l’autorité judiciaire dans le cadre des allégations d’expropriation judiciaire indépendamment de la conclusion préalable d’un déni de justice était bien établie dans les affaires précitées. Les tribunaux arbitraux ont pu constater une expropriation judiciaire indépendante du déni de justice. Ainsi, le seuil de l’illicéité d’une expropriation judiciaire peut dépasser le déni de justice pour englober d’autres violations du droit international.