Le statut juridique de la minorité juive tunisienne en période coloniale : Entre particularisme judiciaire et crise identitaire

Article By :

Le judaïsme tunisien constitue un terrain d’étude marginal malgré la richesse de l’histoire des juifs en Tunisie et son insertion indépassable dans l’histoire nationale. La place de la minorité juive tunisienne se questionne aujourd’hui dans l’histoire, l’art, la culture et la sociologie des groupes sociaux. Par contre, la perspective juridique de cette histoire reste quasiment absente voire largement inconnue En gardant les lunettes du juriste, nous avons choisi de jeter un regard en profondeur sur l’exemple de l’un des plus anciens groupes religieux en Tunisie, le groupe social juif, qui a « bien illustré les mécanismes de séparation et d’exclusion dans le contexte musulman traditionnel». Il faut préciser que notre article s’intéresse particulièrement au statut de la minorité juive tunisienne en période coloniale, au moment où l’instauration du protectorat français en Tunisie en 1881 a renforcé les divisions communautaires au sein de la population indigène. Loin d’être un processus stable, le parcours des juifs en Tunisie a été marqué par une métamorphose socio-juridique profonde. Au fur et à mesure, « ils ont dû procéder à des ajustements entre leur spécificité et leur intégration au milieu ambiant, et s’adapter aux mutations historiques et sociologiques par des phénomènes de déculturation et acculturation progressive et sélective». Au cours de la période coloniale, la Tunisie était caractérisée par « une mosaïque d’ordres juridictionnels, indépendants les uns des autres». Musulmans, Européens et Israélites, chacun avait un statut juridique et social spécifique à son éthnie, à sa nationalité et à sa religion. Entre une communauté européenne rattachée aux juridictions françaises, une communauté musulmane rattachée à la justice du Charâa et une communauté juive relevant de la justice rabbinique, « il s’agit de communautés que tout oppose». Cependant, selon certains auteurs, le pouvoir colonial ne touche pas uniformément toutes les communautés ni toutes les classes. Un traitement différentiel sera instauré par le pouvoir colonial oscillant entre inclusion, exclusion et assimilation, selon les communautés et les impératifs du projet colonial. Trouvant dans la culture universaliste française une échappatoire à la domination, rejetant un passé où prédominait la religion dans les affaires juridiques, politiques et sociales, une partie de l’élite juive a cherché à se rattacher au système français tout en subissant l’ostracisme d’une partie de la colonie française. Sa position était donc ambiguë et tenait à la fois de celle du dominé et de celle du dominant. C’est le temps des crises identitaires évoqué par Albert Memmi dans le portrait du colonisé. Le colonisé, écrit-il, « ne jouit d’aucun des attributs de la nationalité, ni de la sienne qui est dépendante, contestée, étouffée, ni bien entendu celle du colonisateur». Loin d’être uniforme, divisée entre tendances diverses, la presse de défense des intérêts de la communauté juive tunisienne a joué un rôle actif par ses revendications juridico-institutionnelles. Mais en quoi cela avaitil un impact sur le statut légal désormais complexe des personnes israélites ?