Le service public intelligent
Article By : Oumayma Marouen
À l’heure où les services publics font face à une crise de légitimité et d’efficacité, l’innovation technologique semble offrir une solution. L’introduction des technologies avancées et particulièrement l’intelligence artificielle (ci-après IA) , dans la gestion des services publics constitue une réponse potentielle aux problématiques de l’efficacité de l’action publique. Ce phénomène désigné sous le terme de « service public intelligent », demeure un terme insaisissable, échappant à toute tentative de définition en raison de sa nouveauté. Cependant, elle traduit une ambition claire : « une ambition du secteur public de devenir plus agile et résilient et ce, grâce à l’adoption de nouvelles technologies». Les initiatives de numérisation du secteur public ont longtemps été associées à des concepts tels que l’e-gouvernement et l’informatisation de l’administration. Cependant, le terme « intelligent » s’impose désormais dans le discours sur l’innovation numérique du secteur public, sous le vocable de smart government (ou gouvernement intelligent). Dès les années 1980-1990, les systèmes experts ont marqué les premières applications de l’IA, notamment aux États-Unis, où ils ont été utilisés pour automatiser la gestion des dossiers et l’analyse de données . L’avènement de l’ère du Big Data dans les années 2000 a accéléré cette numérisation, ouvrant la voie à des applications plus avancées. Dans les années 2010, les gouvernements ont pris conscience du potentiel stratégique de l’IA afin de moderniser l’administration. En 2018, plusieurs pays, dont le Royaume-Uni et la France, ont officialisé des stratégies nationales pour l’IA, intégrant ces technologies au cœur de la transformation numérique de l’État. Dans les années 2020, cette dynamique s’est intensifiée notamment Aux États-Unis et au Canada. En Tunisie, en 2022, une stratégie nationale de l’intelligence artificielle a été adoptée avec la collaboration de quatre ministères, ciblant les secteurs du transport, de la santé et de l’éducation. Malgré ces avancées, l’absence d’un cadre stratégique global et de financements suffisants freine le développement d’un écosystème IA solide. D’un point de vue théorique, le sujet s’inscrit dans une approche post-New Public Management qu’est la « Digital Era Governance ». qui propose une alternative fondée sur trois axes : une recentralisation des fonctions administratives, une approche holistique centrée sur les besoins des usagers et la numérisation accrue de l’action administrative. Cette transition ne se limite pas à une modernisation technique, mais constitue une transformation structurelle de l’administration, dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle fait, en introduisant une dimension intelligente. Bien que les expérimentations en gouvernance intelligente en Tunisie restent limitées, le gouvernement prépare progressivement l’intégration de l’IA dans les services publics. Une enquête menée en juillet 2020 par le ministère de l’Industrie et des PME auprès de 1 000 agents de l’État révèle un fort soutien à cette transition et que 90 % estiment que l’IA peut améliorer les services publics. Ces résultats traduisent une volonté de moderniser l’administration. Un exemple concret de cette évolution est le projet du ministère de l’Enseignement supérieur, qui prévoit le lancement de « Elm », la première bibliothèque interactive alimentée par l’IA, illustrant ainsi les premiers pas de la Tunisie vers une administration publique intelligente. C’est donc une révolution administrative de fond que nous vivons, et non une simple réforme technique. La question se pose alors de savoir dans quelle mesure peu-t-on réussir une transition vers un service public intelligent ? L’intégration de l’intelligence artificielle dans les services publics marque l’avènement d’une révolution inévitable vers un service public plus efficace (I). Cependant, cette transformation constitue une problématique juridique à résoudre en raison de la spécificité des services publics (II).