La théorie du droit selon Slim Laghmani

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* Cet article est repris du site du journal Business News. Il peut être consulté sur le lien suivant : https://www.businessnews.com.tn/la-theorie-du-droit-selon-slim-aghmani,526,118250,3


Recension de l’ouvrage de Slim Laghmani, Une critique de la connaissance juridique, Tunis, Nirvana, 2022.

Avec Une critique de la connaissance juridique, Slim Laghmani apporte une contribution majeure à la philosophie du droit, une discipline noble à l’intersection de la philosophie et du droit que se disputent philosophes et juristes. Elle interroge dans un langage philosophique approprié la norme juridique, sa nature, son contenu et ses implications. Penser le concept de droit transcende le droit positif. Mais qu’est-ce qui peut garantir la véracité d’une thèse, la pertinence d’un énoncé, la validité d’une théorie juridique ? Plusieurs réponses sont possibles. Pour Slim Laghmani, c’est la scientificité : à quelles conditions le droit (en tant que connaissance) peut-il être scientifique ? Le livre va au fond des choses. L’auteur sollicite les autorités en la matière, argumente, polémique, émet des hypothèses, évalue et tranche. Je vous livre sa réflexion, telle qu’elle se déploie, mais non dans l’ordre des chapitres.

Le droit est-il une science ?
Il n’en est pas une. C’est la conviction de l’auteur. La science est entendue comme un savoir théorique ayant pour objet le réel, se traduisant par des énoncés théoriques, réfutables. D’emblée la connaissance juridique se déprécie elle-même : son objet, le droit, n’est pas un fait empirique « réel », mais bien une règle de conduite. Et ses énoncés théoriques sont irréfutables. Sur ce point, l’auteur recourt au critère d’une science avancé par Karl Popper dans son maître ouvrage La logique des découvertes scientifiques (1934). Il est négatif : est scientifique selon le philosophe des sciences tout énoncé susceptible d’être falsifié ou infirmé par les procédés et les protocoles de validations propres à la science. C’est ainsi qu’elle progresse, par la preuve négative, du faux au vrai. A l’inverse, un énoncé qui ne se prête pas au test de la falsifiabilité n’est pas scientifique. Popper disqualifie ainsi la métaphysique, la théologie et les sciences humaines, parce que leurs propositions sont « immunisées contre la critique », c’est-à-dire qu’elles subsistent même leur réfutation. La métaphysique de Platon ou la théologie de Augustin ne peuvent être « falsifiées ». Gaston Bachelard et Gilles Granger disent à peu près la même chose que Popper, dit l’auteur. On peut également citer Thomas Khun qui estime dans La structure des révolutions scientifiques (1962) que la « rupture épistémologique » n’existe pas en dehors des sciences dures. Dans Les mots et les choses (1966), Foucault parlait de « seuil de positivité » franchi par certaines sciences humaines (l’économie par exemple) proches des sciences de la nature. La cause est entendue. A quoi sert alors d’épiloguer sur le concept d’une science du droit ? En fait, le critère retenu par Popper est par trop étroit pour s’appliquer indistinctement à toute science. Il taille le concept des sciences sociales dites « molles » sur le modèle des sciences dites « dures » ou de la nature. Or, l’imbrication du sujet et de l’objet de la connaissance d’une part, et, d’autre part, l’impossibilité d’expérimenter le social sont deux contraintes inhérentes à la scientificité possible des sciences humaines. C’est ce qui a été particulièrement reproché à Popper notamment par les partisans de l’Ecole de Francfort dans ce qu’on a convenu d’appeler « la querelle du positivisme » non évoquée par l’auteur ; elle a agité les milieux intellectuels allemands (de 1957 à 1968) dont les actes sont réunis en livre (La querelle allemande des sciences sociales, 1979). Il y a donc encore lieu d’argumenter.