Note sous arrêt rendu par la Cour de cassation chambres réunies, le 22 janvier 2022 : La Freinte de route, ou la plus belle mer est celle que l’on n’a pas encore traversée
Article By : Mouna Ketata
Le « théâtre du droit maritime », ainsi que l’appelait le doyen Ripert, est la mer. Il s’ensuit que, le milieu étant toujours le même, les rapports de droit qui se déroulent dans celui-ci doivent être tous envisagés selon une loi commune. A l’époque de la globalisation des marchés et de la libre concurrence, toute mesure prise par un pays à l’égard de son armement national peut mettre en danger la compétitivité non seulement de celui-ci, par rapport aux concurrents étrangers, mais aussi de plusieurs autres secteurs de son économie nationale. Cela explique les raisons des démarches qui ont été entreprises pour l’unification par la communauté internationale. Outre l’unification du droit applicable, l’efficacité et la sécurité du commerce maritime constituent des défis qui se posent toujours avec acuité. Telle efficacité et sécurité sont largement tributaires de la question de la détermination des périmètres de la responsabilité des différents acteurs, notamment les transporteurs maritimes. La responsabilité joue un rôle magistral dans la bonne marche du commerce international de marchandises dans la mesure où elle rime avec la sécurité du commerce. De ce fait, les causes d’exonération de la responsabilité méritent une attention particulière notamment la cause relative à ce qu’on appelle « la freinte de route » consacrée par l’article145 du code de commerce maritime alinéa 6. La Convention de Hambourg porte des règles matérielles de droit international privé et instaure un ensemble de règles directement applicables dans les rapports internationaux. Elaborée sous l’égide de la CNUDCI, la Convention de Hambourg de 1978 unifie les règles applicables au transport international de marchandises. L’objectif escompté par ladite convention était d’établir entre les intérêts en cause un nouvel équilibre profitable au commerce international et aux pays en voie de développement.De ce fait, les Règles de Hambourg introduisent des modifications légères sur la répartition des responsabilités en faisant supporter une dose plus importante au transporteur qu’au chargeur. Les règles de la Convention pourront s’appliquer directement dès lors que le litige revêt un caractère international. La Convention s’applique directement dès lors que les conditions de son application sont réunies. Force est de remarquer que les règles de Hambourg consacrent une évolution par rapport à la Convention de Bruxelles de 1924 dans la mesure où elles réduisent la liste des cas d’exonération pour admettre l’incendie, l’assistance, le transport des animaux vivants, la responsabilité concurrente d’un tiers et le défaut d’information du transporteur sur la nature dangereuse des marchandises transportées. Ainsi on a constaté avec la Convention de Hambourg une réduction des causes d’exonération. En réduisant les causes d’exonération, le législateur international espère que le transporteur redoublera de vigilance et de diligence afin d’acheminer les marchandises à bon port dans l’état où il les a reçues du chargeur et par conséquent les occasions de contentieux. Les causes d’exonération prévues par le code de commerce maritime n’apparaissent pas toutes dans la Convention de Hambourg. L’introduction de la convention de Hambourg dans l’ordre juridique maritime tunisien a créé de la confusion au sein de la jurisprudence ancienne bien établie dans ses assises. Les juridictions chargées de juger les litiges enrôlés se sont trouvées confrontées à une situation cornélienne peu enviable en raison des fondements divergents et des principes régissant la responsabilité du transporteur maritime parfois contradictoires du fait des philosophies antinomiques des deux législations. Des incohérences sont apparues et des décisions contradictoires ont créé une situation peu crédible au regard des intérêts des intervenants dans la chaîne du transport. La ratification par la Tunisie de ladite Convention a divisé la doctrine et la jurisprudence en deux tendances : La première préconisant le maintien de la freinte de route comme cause d’exonération sur la base du CCMT et des usages, la seconde soutenant pour sa part son exclusion pure et simple sur la base des Règles de Hambourg. D’où l’intérêt de la décision objet du commentaire, rendue par la Cour de cassation en chambres réunies, tant attendue et qui s’inscrit dans une jurisprudence en dents de scie. Les faits d’espèce enseignent qu’une société a, sur la base d’un contrat international, acheté 27500 TM de blé tendre. Le transport de la cargaison a été assuré à bord du navire. Ce navire a effectué le voyage d’un port français au port de déchargement de Bizerte (Tunisie) en vertu d’un connaissement émis en mai 2011. Un manquant de 772,112 tonnes a été constaté au port de Bizerte. Le réceptionnaire a exigé la réparation du préjudice. Aussi bien le tribunal de première instance de Tunis que la Cour d’appel ont condamné le transporteur maritime ainsi que la banque caution à régler la valeur du manquant estimé par l’expert à 56684,712 TND. Le transporteur se pourvoit en cassation en invoquant la transgression de l’article 16 de la Convention de Hambourg et de l’article 145 CCMT qui prévoit la freinte de route et prétend que le blé tendre transporté par mer est de nature à perdre de son poids par un phénomène naturel au cours de l’expédition maritime. Un deuxième pourvoi fut exercé par le transporteur maritime ce qui a invité les chambres réunies de la Cour de cassation à intervenir. La question posée à la Cour de cassation était de savoir si on peut admettre la freinte de route comme cause d’exonération dans un contrat international de transport de marchandises par mer. L’arrêt rendu par la Cour de cassation en chambres réunies était particulièrement attendu. Tranchant un débat qui a divisé juges et doctrine, l’arrêt ne maintient pas les solutions antérieures admettant la freinte de route. Quoique critiquable, la Cour de cassation apporte une réponse claire à ces interrogations. A l’analyse, la solution retenue par la Cour de cassation, et l’arrêt fut particulièrement important sur ce point, opte pour une admission conditionnée de la freinte de route comme cause d’exonération (I). Corrélativement, elle offre d’utiles précisions sur le terrain de la preuve en confirmant la souplesse de l’appréciation de la freinte de route en faisant allusion à la coutume (II).
