Leitmotivs du droit musulman : Le statut personnel en Tunisie, en Algérie et en Égypte
Article By : Eugenie-Laurence Fafard Drareni
I. Introduction a) La pluralité du droit musulman : Il découle de la nature humaine de classifier et d’organiser les différents concepts que l’Homme rencontre pour homogénéiser sa compréhension des éléments qui l’entourent, bien qu’occasionnellement, cet exercice puisse résulter en une généralisation inexacte de réalités distinctes. Les qualifications de « droit musulman » ou de « système juridique islamiste » catégorisent à tort les États de confession musulmane dispersés entre le MoyenOrient, l’Asie du Sud, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, considérant la singularité du droit de chacun. Cette terminologie est justifiée par le dénominateur commun de ces différentes nations, celui des institutions judiciaires empreintes de théologie en raison de leurs origines islamiques, bien que l’évolution de ces sociétés priant le même Dieu est plurielle. C’est dans cette optique que l’angle d’analyse de la présente recherche illustrera différents pans du droit musulman, à l’effet du statut personnel, dont les divergences se posent notamment quant à l’apport du religieux dans les sources législatives et dans leur application, parallèlement au degré d’uniformisation des ordres juridiques. Le statut personnel est une catégorie qui englobe toutes les notions du droit familial, successoral et de la personne dans son ensemble. Maintes réformes de pays arabo-musulmans dans les années cinquante, quatre-vingt-dix et 2000 ont forgé l’état actuel du droit positif. Trois États nord-africains constitueront alors les territoires étudiés, puisque leur structure juridique respective présente trois rapports de proximités dissemblables avec la religion : la Tunisie, entre modernité et tradition ; l’Algérie, entre islam et socialisme ; l’Égypte, le berceau de la civilisation musulmane. À l’aube même d’une approche comparative constitutionnelle des textes supralégislatifs des trois pays, l’écart d’application de la charia, c’est-à-dire des normes islamiques régies par le Coran, est évident. En effet, la Constitution égyptienne prévoit expressément à son deuxième article les principes de la charia comme source législative . On ne retrouve pas le même emprunt dans les constitutions algériennes et tunisiennes. L’Algérie possède une plus grande proximité de son droit à la religion que sa voisine du nord-est, puisque certains dispositifs législatifs de lois ordinaires découlent, soit de principes coraniques, ou reconnaissent directement les limites de la charia . De surcroit, un autre facteur de comparaison est la place de la primauté du droit dans les institutions judiciaires, puisque les deux pays maghrébins à l’étude prévoient la suprématie du droit, alors que, force est de constater que la constitution égyptienne se situe sous l’ordre islamiste dans la hiérarchie des normes. Le texte supralégislatif de ce pays du Moyen-Orient encastre les principes musulmans de telle sorte qu’ils s’imposent au législateur. Néanmoins, les trois textes reconnaissent l’islam comme la religion de l’État. En ce qui a trait au degré d’unification de l’ordre juridique de ces pays, l’éloignement de ses sources originelles de la Tunisie, la codification constante du droit par l’Algérie et le pluralisme législatif basé sur la confession du justiciable de l’Égypte, dresse un portrait général de la diversité d’interprétation de la charia . En effet, alors que les deux premiers pays ont complètement unifié leur droit de sorte qu’il s’applique sans distinction à tous leurs nationaux, l’Égypte présente toujours un droit complètement désunifié dans la mesure où la loi applicable à un individu dépend de son appartenance religieuse. Le droit musulman constitue le droit commun, mais il existe des lois spécifiques qui diffèrent et qui s’appliquent aux communautés orthodoxes, catholiques et protestantes. En plus du principe de la personnalité religieuse de la loi qui crée des difficultés juridiques quant à l’application de principes se trouvant régulièrement à être antagonistes , l’absence d’un texte unique de loi consacrée à l’étude du statut personnel ou du droit de la famille nuit à la centralisation des informations juridiques. En effet, ces dispositions législatives sont dispersées dans les différentes sources juridiques égyptiennes, sans noyau commun. b) La dichotomie entre le droit interne et l’adhésion aux traités internationaux La Tunisie, l’Algérie et l’Égypte ont toutes trois adhéré à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Les constitutions de ces États expriment leur engagement envers la communauté internationale en adoptant dans leurs droits positifs des dispositions faisant foi de leur désir de conformité avec les libertés fondamentales qui y sont protégées. En effet, on peut lire dans le préambule de la constitution tunisienne que le peuple de ce pays s’attache aux « valeurs humaines et aux principes universels et supérieurs des droits de l’Homme » et même qu’aucune révision législative ne peut porter atteinte à ces droits garantis par la Constitution. L’Algérie prévoit aussi l’intégrité et l’inviolabilité des droits de l’Homme que les Algériens ont le devoir de transmettre de génération en génération ,ainsi que l’impossibilité d’effectuer une révision constitutionnelle portant atteinte à ces libertés. En ce qui concerne l’Égypte, l’adhésion à la Déclaration universelle des droits de l’homme se situe expressément dans le préambule constitutionnel. Or, contrairement aux deux autres États, au lieu de garantir son application, le libellé législatif égyptien présente la conformité aux libertés fondamentales comme une direction à suivre pour le futur et prévoit que l’essence de la constitution est aligné sur ces dernières. Il n’est pas fait état d’une quelconque impossibilité de révision constitutionnelle pouvant y porter atteinte. Ainsi, on constate que le législateur égyptien ne s’est pas imposé la même rigueur à l’effet du respect de ses engagements internationaux. Quoi qu’il en soit, les auteurs ne critiquent pas exclusivement l’Égypte pour cet évident dualisme conflictuel entre des articles de loi garantissant l’égalité homme-femme et l’absence de discrimination fondée sur le sexe, parallèlement à d’autres articles qui, par leur essence, y contreviennent directement. Alors, bien qu’il y ait eu un exercice d’introduire les notions souscrites par la Déclaration des droits de l’Homme et autres conventions internationales protégeant les libertés fondamentales de l’humain, il existe toujours une importante dichotomie entre le droit positif et le droit international auquel ces pays ont adhéré. Cette claire opposition s’explique par deux valeurs qui s’entrechoquent : la tradition et la modernité. La coexistence de ces concepts antinomiques se traduit dans le système juridique musulman dans son ensemble, puisque l’islam, par son essence, est bien plus qu’une religion que l’on peut pratiquer. Il se revendique comme étant un segment fondamental de l’identité de ses adeptes. Il était d’autant plus prévisible, à l’ère de la décolonisation, de constater que ces sociétés, dans toutes leurs institutions politico-sociales, se soient recroquevillées si ardemment sur cette composante identitaire dont on les avait privé . Aujourd’hui, ces anciennes colonies françaises et anglaises partagent des intérêts différents quant à la proximité ou l’éloignement de leur droit positif par rapport à la religion. La Tunisie et l’Égypte se plaçant, en quelque sorte, aux antipodes. L’Algérie s’insère quelque part entre les deux ce qui s’explique par un manque d’audace pour pleinement réformer ses institutions par crainte de révolter certaines minorités conservatrices.